Interview de Nagore Mujika par la revue Prest! Photo : Iñigo Azkona
REVUE PREST. Elle est coordinatrice en Bizkaia de l’association Etxerat depuis un an et demi. Dans le local ouvert il y a quelques mois par l’association à Ibarrekola, elle offre aux familles et amis de prisonniers politiques basques soutien, conseil et réconfort, « dans l’intention d’alléger la situation traumatique et douloureuse qui leur est tombée dessus ».
Que signifie être un parent ou ami de prisonnier politique basque ?
Il est bien évident qu’avoir un proche en prison est très difficile pour n’importe qui. Si ce proche est un prisonnier politique, ça l’est encore plus. En effet, les lois et les régimes de détention qui leur sont systématiquement appliqués sont beaucoup plus durs et beaucoup plus cruels, tant pour eux que pour leurs familles et amis. La dispersion en est l’exemple le plus criant. Elle n’a jamais eu aucun sens, aucun support juridique non plus, elle est inhumaine depuis le début, mais aujourd’hui, presque six ans près qu’ETA a pris sa décision, elle est devenue un pur instrument de chantage et de vengeance contre les familles. Rien d’autre ne peut l’expliquer. Un exemple : la situation des prisonniers malades. Si la loi était appliquée, ils seraient dehors depuis longtemps, mais ils sont toujours en prison. Nous avons quatre cas en Bizkaia, qui sont tous très durs.
Ces dernières années, la situation des prisonniers, et en conséquence, de leurs parents et amis, n’a pas changé. Quelle est cette situation précisément ?
La situation encore empiré ces dernières années, parce que le gouvernement espagnol a encore durci la politique pénitentiaire. L’Espagne impose ses condamnations, refusant de se soumettre à la loi-cadre européenne, comme le gouvernement l’a lui-même avoué, en utilisant des « ruses juridiques ». L’objectif est très clair : maintenir les prisonniers basques derrière les barreaux durant un temps supérieur à leur condamnation. Il y a quelques années, ils ont essayé avec la loi dite « Parot » et ont très bien réussi. Car quand la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’est prononcée contre cette loi, un certain nombre de prisonniers avaient déjà dépassé la fin de leur peine depuis 10 ans. Aujourd’hui, à nouveau, le gouvernement refuse de prendre en compte des condamnations déjà effectuées. Cela n’est pas appliquer la justice, c’est une politique de vengeance. D’autre part, il faut dénoncer la situation des prisonniers gravement malades. Les prisonniers atteints de maladies graves et incurables sont au nombre de 12. Malheureusement, cette liste n’a cessé de s’allonger ces dernières années. Et il faut y ajouter un certain nombre de cas que les prisonniers ne souhaitent pas rendre publics. La situation des prisonniers malades est utilisée de la façon la plus cruelle qui soit, contre eux-mêmes et contre leurs familles. La seule raison de leur maintien en prison réside dans des intérêts politiques. En effet, la loi espagnole elle-même prévoit la libération des prisonniers qui sont dans ce cas. Cette situation ne fait qu’augmenter l’angoisse et la souffrance des familles.
Quelle est la situation des prisonniers de la zone de Deusto ?
Nous avons cinq prisonniers politiques dans cette zone, quatre dans l’État espagnol et un dans l’État français. Ils se trouvent tous très loin du Pays Basque, à au moins 600 km de chez eux. Et tous les cinq sont sous le régime le plus dur, avec tout ce que cela suppose : le contrôle et la limitation du courrier, l’enregistrement de toutes les communications et ils ne peuvent envoyer que deux lettres par semaine (ce dernier point dans les prisons espagnoles). Dans l’État espagnol, les prisonniers de droit commun peuvent passer 10 appels de cinq minutes par semaine ; les prisonniers basques ne peuvent en passer que huit. De plus, leur éloignement rend très difficile la préparation de leur défense. Tout cela représente une peine supplémentaire pour leurs parents et amis, parce que nous ne voulons pas rompre le lien avec eux, avec toutes les conséquences que cela entraîne. Ça fait de longues années que nous subissons cette situation, alors qu’une seule est suffisante pour déstabiliser une famille à la fois sur le plan économique, physique et psychologique.
Vous avez ouvert un nouveau local d’Etxerat à Ibarrekolanda en septembre dernier. Quel service y offrez-vous ?
Nous, les familles d’Etxerat, avions besoin depuis longtemps d’un tel espace, pour nous y réunir et parler de nos problèmes. Nous avions besoin d’un lieu ouvert, qui puisse devenir un repère pour quiconque a envie de nous rejoindre. Tout cela n’est pas seulement le problème des familles, mais le problème d’une grande part de cette société, c’est pourquoi il devait être ouvert au public. C’est grâce à la contribution des parents et amis d’Etxerat que nous avons pu ouvrir ce local, je souhaite dire à tous ceux qui sont prêts à nous aider que tous les dons seront vraiment les bienvenus.
Quels bilans Etxerat a-t-elle fait de la manif organisée par Sare à Bilbao 14 janvier ?
Cette grande manifestation qui a lieu au début de chaque année est très importante pour Etxerat, car c’est la société elle-même qui descend dans la rue et qui crie bien fort qu’il faut en finir une fois pour toutes avec toutes les politiques d’exception qui touchent une grande part de cette population : l’isolement, la situation des prisonniers malades, l’éloignement et la dispersion... Nous, c’est tous les jours qu’on vit tout ça, année après année, condamnés parce que nous sommes des familles et amis. Ce jour-là est donc très émouvant pour nous, car il nous montre que la société n’est pas prête à laisser cette situation s’enkyster, à considérer comme normales des stratégies de vengeance et de souffrance et à fermer les yeux devant les violations de droits. Ça nous donne de la force.
L’association Etxerat est allée à Bruxelles. Qu’avez-vous obtenu dans les réunions réalisées avec un certain nombre de responsables de groupes politiques ?
Nous étions déjà allés au Parlement européen il y a deux ans, et les réunions réalisées dernièrement sont le prolongement des relations commencées alors. Comme il y a deux ans, nous sommes allés vers l’Europe avec un objectif très clair : briser le silence autour des violations de droits essentiels perpétrées tous les jours par les États espagnols et français et informer sur les graves conséquences de ces violations. Cette fois, nous sommes allés dénoncer l’une des plus dramatiques d’entre elles : la situation des prisonniers atteints de maladies graves et incurables.
Le cas du prisonnier politique basque Josetxo Arizkuren est arrivé récemment à la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Qu’en attendez-vous ?
Comme Josetxo, de nombreux autres prisonniers politiques basques ont fait individuellement la même demande auprès des institutions pénitentiaires : celle d’être transféré-e-s à la prison de Zaballa, pour accomplir leurs peines au Pays Basque. Tous ont reçu un refus et ont déposé un recours auprès de l’Audience Nationale Espagnole et du Tribunal Constitutionnel. Le cas de Josetxo est le premier à être arrivé à l’Europe. Nous savons qu’il y a des précédents dans d’autres États membres, et que la Cour Européenne a déjà déclaré que purger sa peine loin de son domicile familial viole les droits essentiels du prisonnier, comme celui du droit aux relations familiales. Malheureusement, ces procédures sont extrêmement longues, et ajoutent de longues années de kilomètres supplémentaires pour ces prisonniers et pour leurs proches.
Cela fait cinq ans qu’ETA a cessé ses actions armées, et la fin de la dispersion des prisonniers basques n’est toujours pas arrivée. Quelles sont les principales difficultés ?
Ça à l’air incroyable, mais nous attendons toujours. Les familles et une large part de la société basque attendent un changement de politique pénitentiaire. Mais le gouvernement ne veut toucher à rien, il n’a pas montré la plus petite volonté de changement. La dispersion et l’éloignement des prisonniers sont le résultat de la décision politique qu’ils ont prise, et s’ils le voulaient, ils pourraient mettre fin à cette situation avec une autre décision politique. Ce qui entraîne de nombreuses difficultés et obstacles. Ceux que trouvent tous les week-ends les enfants, les jeunes, les plus âgés qui doivent prendre la route, les malades aussi, même si c’est au prix des conséquences que ces longs voyages auront sur leur santé. En tant qu’association, le principal obstacle que nous rencontrons dans notre travail est la tentative permanente de criminalisation : ils disent qu’Etxerat est l’association des prisonniers de l’ETA, et toute action organisée pour dénoncer les violations de droits est présentée comme une action de soutien aux prisonniers de l’ETA.
Quelles sont les avancées de ces dernières années ?
En ce qui concerne notre situation et celle de nos parents et amis prisonniers, il n’y a eu aucune avancée. Des soutiens ? Nous avons le soutien de l’immense majorité de la société basque. Certains mouvements et associations de l’État espagnol nous ont également montré leur solidarité, et cela est indispensable pour briser le blocage qui nous oppose. Au niveau des institutions, même si le PP est de plus en plus isolé, il manque encore une implication plus directe de certains partis politiques. Par exemple, nous avons présenté des motions dans un certain nombre de mairies, et certaines ont été acceptées mais d’autres non. Quoiqu’il en soit, nous continuons de demander qu’au moment de parler de la souffrance liée au conflit, la nôtre aussi soit prise en compte. Nous ne nions la souffrance d’aucune victime, mais la nôtre n’est pas reconnue, alors que 16 d’entre nous ont été tués sur les routes de la dispersion. Les institutions ne descendent pas dans la rue, ne font pas de minutes de silence pour eux, ni pour les centaines de personnes qui ont eu des accidents en conséquence de la dispersion.
Dans le cadre de la dynamique « les Sommets de la Dispersion », Etxerat a développé le thème des enfants et de la dispersion. À quoi cela a-t-il servi ?
Nous avons développé cette dynamique dans des espaces différents : dans les institutions et dans la rue, pour nous adresser aussi à la société. En ce qui concerne les institutions, nous avons présenté des motions dans un certain nombre de mairies, leur demandant de se prononcer contre la politique de dispersion. Nous faisons comme si cette situation, que nous vivons depuis de très longues années, était « normale », pour y faire face plus facilement et pour nous protéger. Pourtant, nous savons qu’elle ne l’est pas, et cela fait déjà longtemps que nous disons que le nouveau panorama politique du Pays Basque, malheureusement, n’a rien changé pour nous. C’est justement l’objectif de cette dynamique : sensibiliser et informer la société par le biais de témoignages de familles. Finalement, quand ce que tu vis n’est pas raconté, c’est comme si ça n’avait pas existé, c’est pourquoi nous offrons notre témoignage à tous ceux qui veulent l’entendre. Toutes ces paroles montrent à quels extrêmes la dispersion peut nous mener, dans le cas des enfants, dans le cas des plus âgés, dans le cas des malades et en ce qui concerne la mémoire et la reconnaissance des victimes de la dispersion.
Pourquoi le cas de Sara Majarenas est-il si grave ?
Dans ce cas, la victime a été une petite fille, enfant de cette prisonnière politique basque. Toutes les agressions machistes sont douloureuses et inacceptables, mais dans cette situation, la violence est démultipliée par le fait que la mère de cette enfant est incarcérée à 640 km de son domicile. Sara n’aurait pas dû se trouver à Picassent. Elle n’aurait même pas dû être en prison. Elle a accompli sa peine et aurait dû être chez elle, depuis longtemps, avec sa fille. De plus, un certain nombre de médias ont traité cette information d’une façon répugnante, minimisant l’agression et mettant en avant la militance de la mère de cette petite fille. Je profite de cette occasion pour transmettre tout le soutien, la solidarité et l’amitié des familles d’Etxerat à Sara, Izar et à toute leur famille.
Arantza Zulueta se trouve en isolement depuis trois ans. L’isolement est-il aussi de la violence ?
Bien sûr. La situation d’Arantza est extrême et illégale. Un certain nombre d’organisations internationales ont déclaré que l’isolement est une forme de torture. On peut dire que le régime appliqué à Arantza est une torture blanche, dont le seul objectif est de détruire psychologiquement la personne. Arantza se trouve à 1000 km de chez elle, et est isolée. Elle sort seule en cours de promenade, deux heures par jour seulement, et elle fait sans cesse l’objet de fouilles minutieuses. L’isolement est une mesure fréquemment utilisée contre nos parents et amis.